mardi 11 novembre 2008

Lundi 11 novembre 1918, 11heures, Brest

Nous dormons mal. Au matin, tous ceux de la mission, ceux des avions et ceux des chars, se tiennent appuyés contre les rambardes des ponts. Le brouillard de novembre se dissipe lentement. Les quais, les bateaux, les édifices en sortent un à un.
Et, tout à coup, de la cité que l’éloignement fait silencieuse, tout à coup jaillit le tintement d’une cloche. Une autre lui répond et une autre – une autre encore et encore. Plus fort. Plus fort. A toute volée. En rafale, en ouragan.
Sans bien comprendre pourquoi, je me sens pâlir. Je regarde Bob. L’étincelle des yeux s’est figée. Personne ne fait un mouvement. Personne ne prononce une parole. Enfin, au bout d’un temps qui ne peut se mesurer, on entend une voix étranglée, incrédule.
Elle dit :
- L’armistice.
Et soudain le mot passe, éclate, de bouche en bouche, de pont en pont, devient cri, délire. Et les volées des cloches l’accompagnent. Et dans les accalmies, on perçoit, malgré la distance, là-bas, dans Brest, un grondement humain. La foule. Et j’entends un camarade, près de moi, dire pour lui-même :
- A travers la France entière… chaque ville, chaque village…

Extrait de Les temps sauvages, Joseph Kessel
Dessin de Mac Orlan

3 commentaires:

Virginie Gervais-Marchal a dit…

Merci de nous savoir déniché ce beau texte qui en dit long...

caroline_8 a dit…

les mots du grand Kessel, les larmes au bord des yeux, bonjour.

Marraine a dit…

> Virginie, Caroline: J'avais adoré ce texte, le roman entier est une aventure extraordinaire et très émouvante. Et puis j'aime tant la langue de Kessel...

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