Casser, et après ? Réparer ? Transformer ? Faire disparaitre l’accident ou au contraire le magnifier ?
Le raccommodeur : prolonger la vie de l’objet, en y laissant les traces du passé
Raccommodeur de faïence, Paris Photo : Eugène Atget,vers 1898/1900 |
Autrefois, lorsqu’une porcelaine était cassée, on la faisait raccommoder. Voilà bien un mot désuet aujourd’hui, et l’image vient à l’esprit de chaussettes trouées, d’accrocs dans les gilets tricotés main, ou justement de plats anciens avec ces vilaines agrafes.
On en trouve encore, quelques-uns, de ces raccommodeurs de faïence et de porcelaine, mais bien sûr très peu.
On en trouve encore, quelques-uns, de ces raccommodeurs de faïence et de porcelaine, mais bien sûr très peu.
Un "petit métier oublié".
Ces artisans avaient trouvé le moyen de faire durer la vie de la vaisselle en agrafant délicatement les éclats de porcelaine ou de faïence entre eux.
Ces artisans avaient trouvé le moyen de faire durer la vie de la vaisselle en agrafant délicatement les éclats de porcelaine ou de faïence entre eux.
L’effacement, la négation du passé ?
Bien sûr, aujourd’hui, on préfère une cassure invisible à de vilaines agrafes, et les restaurateurs de porcelaine ancienne font des merveilles pour faire disparaître et oublier les accidents passés.
Assiette ancienne réparée à l'aide d'agrafes, aujourd'hui rouillées. (source) |
Mais doit-on vraiment faire oublier l’accident ? le passé ? l’objet est peut-être comme l’être humain ou comme toute chose dont l’histoire se construit de ces accrocs, ces éclats, ces fêlures et ébréchures (vaste sujet psychologique…). La cassure est un témoignage de l’histoire de la pièce. Les archéologues aujourd’hui préfèrent montrer les manques plutôt que de les recréer contrairement à ce qui se faisait au XIXe siècle. A ce propos, voyez par exemple les reconstitutions des bijoux de la collection Campana, réinventés à partir d’anciens, mais que l’on a fait passer pour tels, les sauvetages-restaurations-reconstitutions de Viollet-le-Duc- un peu partout en France, ou les magnifiques éléments de murailles de Babylone, au musée de Pergame à Berlin, superbes, mais le public aujourd’hui a été éduqué à distinguer dans un élément ancien, les parties d’origine des reconstitutions pour y voir plus clair dans le travail des archéologues et des restaurateurs.
Coupe à figures rouges, Grèce archaïque, environ 500-470 av JC source : Musée du Louvre, photo : Philippe Fuzeau |
La réparation mise en valeur : Le kintsugi – ou la céramique brisée
Coupe chinoise Ko-sometsuke destinée au marché japonais au 17e siècle, réparée de laque et d'or. Voyez aussi l'envers. Photo : Galerie Le Sentiment des Choses, 9, rue de l'Echaudée, Paris 6e |
On raconte qu’un shogun japonais, très mécontent de la réparation avec agrafes métalliques, qui avait été faite sur une porcelaine chinoise de grand prix, demanda à ses artisans de trouver un autre type de réparation. Ceux-ci avec de l’or et de la laque mirent en valeur la cassure qu’ils n’étaient pas en mesure de faire disparaître.
Ils avaient inventé le kintsugi, magnifique travail de jointure d’or. De tsugu réparer, relier, transmettre et donner de la valeur.
Carrelage réparé à l’or, Restaurant Anahivia |
Cette philosophie participe du Wabi-Sabi ou l’art de voir la beauté dans les imperfections-(à ce propos, replongez-vous ou découvrez donc « L’Eloge de l’ombre » de Tanizaki (1933), un texte qui, me semble-t-il, devrait faire partie de toute bibliothèque idéale. Cette technique peut ainsi s’adapter à de nombreux supports : récemment le décorateur d’un restaurant parisien, nouvellement installé dans une ancienne boucherie, garda les carreaux blancs des murs défraichis en mettant en valeur fissures et manques à l’aide de jointures dorées.
Un autre exemple de l'adaptation de cette technique : l'artiste Rachel
Sussman a adopté la technique japonaise du Kintsugi en réparant les
routes avec de l’or dans son projet Sidewalk Kintsukuroi.
Rachel Sussman |
Rachel Sussman |
Charlotte Bailey |
Showzi Tsukamoto |
Le recollage aléatoire, la re-création :
A partir du moment où l'on répare, on peut facilement mélanger les morceaux, et faire fi de l'original.
Tomomi Kamoshita |
Seletti, collection Kintsugi design : Marcantonio |
Par extension, on eut également penser au grand maître Antonio Gaudi et ses mosaïques recouvrant le parc Guell à Barcelone :
Détails des mosaïques du Parc Guell à Barcelone, Antonio Gaudi A gauche : source, via - A droite : photo Lisebastos |
Le recyclage, la transformation, l’ "up-clycling"
J’ai cité dans la publication précédente le styliste belge Martin Margiela avec ses colliers d’assiettes cassées, je réitère aujourd’hui, avec ses gilets réalisés en éclats de porcelaine, sans aucune volonté de réparation, mais bien de recyclage, de réutilisation d’un objet usuel brisé.
Gilets d'assiettes cassées, Martin Margiela, 2006 Sources : à gauche : Le recyclage dans la mode, Geneviève Blons - à droite: AtoC magazine |
À voir en ce moment à Paris lors de l’exposition présentée au Palais Galliera jusqu’au 15 juillet 2018.
D’autres artistes se sont aussi emparé des éclats de porcelaine, pour les remonter différemment, voyez notamment le chinois Li-Xiaofeng, la hollandaise Bouke de Vries ou le coréen Yee Sookyung :
à gauche : Li Xiaofeng : Porcelain dress - à droite : Yeesookyung |
Bouke de Vries |
La morale de l'histoire? La Fontaine aurait sans doute réécrit sa fable du pot de fer et du pot de terre s'il avait eu connaissance de tout cela...
2 commentaires:
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Je ne connaissais pas ce raccommodage à l'or. C'est digne d'un conte de fée ! Bravo pour ces billets passionnants !
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